Textures urbaines
Ce site propose une collection raisonnée et commentée des écritures de rue à Liège (Belgique), sous la forme d’un corpus de quelques 3000 photographies géolocalisées. Il offre également un outil de recherche et de visualisation qui permet d’organiser ces données visuelles selon différents critères.
Le premier critère est d’ordre spatial : chaque photographie étant géolocalisée, elle est associée à un point précis de la carte du centre-ville de Liège qui s’affiche en page d’accueil. Cette carte est zoomable et cliquable. Elle fait d’abord apparaitre, sous forme de bulles colorées, les nombres d’images associées à telle zone de la ville. À mesure que l’on zoome, la géolocalisation se précise en repères bleus associés cette fois à une seule image. En passant la souris sur l’un de ces repères, on accède à l’image concernée et aux informations qui la caractérisent.
Ces informations s’organisent en trois critères supplémentaires (en plus donc du critère spatial), qui correspondent également aux trois volets principaux du formulaire de recherche de la colonne latérale : lieu d’occurrence, geste d’inscription, topique.
Le lieu d’occurrence permet de situer l’inscription dans le type de support qui l’accueille. Nous considérons en effet que les écritures de rue ne valent pas seulement par les messages qu’elles énoncent, mais aussi par les matérialités qu’elles investissent : du mobilier urbain, des enseignes commerciales, des seuils d’habitations privées constituent de tels lieux d’inscription répertoriés. Pour faciliter la recherche, nous avons organisé ces supports en trois macro-catégories : ordre public, ordre commercial, ordre privé.
Le second critère indique la technique d’inscription utilisée, elle aussi susceptible de correspondre à certains effets de sens spécifiques, ou de produire des sous-corpus dont on pourra questionner la cohérence ou au contraire la variété. Par exemple, les inscriptions produites par sticker imprimé correspondent à un paradigme désormais relativement stabilisé, associé à des traits formels et thématiques récurrents ; bien sûr, cette stabilisation crée elle-même la condition d’un écart ou d’une extension possibles – ce qu’atteste bien le sous-corpus qui correspond à cette catégorie.
Le troisième critère concerne la « topique » dans laquelle s’inscrit le discours, c’est-à-dire le cadre thématique général en fonction duquel il est produit et reçu. En effet, très souvent, avant de lire effectivement telle inscription, on reconnait le paradigme auquel elle appartient, la série d’inscriptions semblables et le périmètre de sens qu’elle dessine. Certaines de ces topiques correspondent à des genres de discours relativement stabilisés dans l’espace public, comme par exemple les noms de rue, l’art urbain spontané ou les messages publicitaires. D’autres sont plus contingentes (comme la série des inscriptions liées à l’opération « Art au Centre », propre à la ville de Liège), ou moins instituées et dès lors plus ouvertes à la variation (comme les messages « à donner » ou « animaux perdus »).
Chaque inscription de rue correspond ainsi à une photographie, qui est géolocalisée et caractérisée selon les trois critères du lieu, du geste et de la topique.
Outre la géolocalisation et les critères lieu-geste-topique, certaines inscriptions ont fait l’objet d’un étiquetage supplémentaire, leur associant un ou plusieurs mots-clés. Quand c’est possible et pertinent, ces mots-clés visent à préciser les topiques, sans être contraints à une structuration et à une systématicité aussi fortes. Par exemple, la « pandémie de Covid-19 » constitue l’un des mots-clés associé à de nombreuses inscriptions de la collection ; le « football » apparait également comme un trait thématique récurrent qui a justifié un étiquetage spécifique, sans pour autant constituer encore une topique aussi évidente que la toponymie (noms de lieux) ou aussi ciblée que les messages de déménagements. La liste des mots-clés (qu’on peut faire apparaitre en cliquant simplement dans le champ vide « Mots-clés » du champ de recherche latéral) assume donc un caractère un peu disparate et évolutif.
L’outil de recherche permet de combiner plusieurs mots-clés (par exemple « antipub » et « lien hypertexte »), ou un mot-clé avec tels critères relatifs aux lieux-gestes-topiques (par exemple le mot-clé « discours sur Liège » associé à « vitrine », ou « collage » et « message publicitaire »).
Certaines images font également l’objet de commentaires ponctuels, qui apparaissent dans la fenêtre associée à l’image, sous la mention du lieu-geste-topique et de l’éventuel mot-clé. Ces commentaires visent simplement, quand c’est nécessaire, à faciliter la lisibilité de l’inscription ; ils ne peuvent pas faire l’objet d’une recherche spécifique dans la collection.
Enfin, l’onglet « Galerie » du menu principal offre une sélection d’une cinquantaine d’inscriptions (parmi l’ensemble de la collection), qui font l’objet d’une glose plus développée, soit sous la forme d’un petit texte écrit, soit sous la forme d’un commentaire sonore. Ces fichiers sonores correspondent aux chroniques radiophoniques qu’Alexandre Lansmans tient au sein de l’émission « CurioCité » (https://rcf.fr/actualite/actualite-locale/curiocite ), animée sur RCF-Liège par Antoine Labye, que nous remercions vivement d’avoir accepté de mettre ces archives à notre disposition. Ces textes et ces chroniques illustrent, de manière volontairement fragmentaire, quelques voies d’analyse possibles de la collection.
La collection rassemblée sur ce site peut paraitre très hétérogène. Elle l’est, à bien des égards. Mais les éléments qui la composent ont tout de même plusieurs dénominateurs communs.
Le premier est sans doute que ces éléments ont du sens pour quelqu’un. Bien qu’ils puissent sembler « insignifiants », au sens de « négligeables », ils contribuent pourtant à enrichir la vie sémiotique de la ville, c’est-à-dire à faire exister des réseaux de signification (les sémioticiens appellent cela des « isotopies ») qui multiplient les formes d’attention possibles dans l’espace urbain. Si nous avons nommé ce site « textures urbaines », c’est bien pour souligner cette idée que la ville (en l’occurrence, Liège) porte les traces d’une variété de manières de faire sens et d’accrocher l’attention du passant comme certains reliefs accrochent la lumière.
Le deuxième trait commun tient au fait que ces textures ne sont pas spectaculaires, au sens où elles ne font pas irruption dans l’expérience visuelle de la ville, mais s’y fondent comme des formes du quotidien urbain. Ainsi, la collection ne porte pas sur les inscriptions liées à des événements ponctuels (telle manifestation politique ou culturelle, par exemple), mais plutôt sur des formes infra-événementielles (tel « avis aux distributeurs des publicités ») ou des phénomènes désormais inscrits dans la vie ordinaire des citadins (telles les inscriptions relatives à la pandémie).
Le troisième trait commun est que les inscriptions documentent à chaque fois des modes d’articulation du verbal avec d’autres systèmes de signification. Il y a bien quelques photographies qui semblent dépourvues de tout élément linguistique, mais l’essentiel de la collection combine des signes linguistiques avec des formes visuelles, architecturales, matérielles, praxéologiques (c’est-à-dire liées à un type de pratique, comme le shopping par exemple) : manière de montrer que, dans l’espace public urbain, il n’est jamais possible d’isoler la part strictement linguistique d’un discours dans la construction complexe du sens qu’il peut produire.
Enfin, un dernier trait, d’ordre spatial, donne encore son unité à la collection : les photographies ont été prises dans un périmètre correspondant à ce qu’un piéton ordinaire peut couvrir lors d’une balade d’environ deux heures à partir du centre-ville. Il n’y a donc pas de balisage à priori du terrain en fonction de frontières physiques ou administratives, ni de découpage en quartiers.
La collecte s’étend de mars 2020 à juin 2021 ; elle est destinée à évoluer encore un peu au-delà de cette période, mais plus de manière substantielle. Elle s’est opérée sans appareillage technique particulier : au gré d’une déambulation libre dans les rues de Liège, un piéton ordinaire photographie avec son smartphone les inscriptions qu’il rencontre et qui captent son attention. Le refus d’une sophistication technique pour le dispositif de collecte est assumé comme un choix de méthode, cohérent avec le point de vue subjectif et non-instrumenté que nous souhaitions adopter vis-à-vis de l’espace public urbain.
On pourrait dire en somme que le dispositif de collecte adopté consiste à prendre le contre-pied complet de ce que réalise une Google Car pour construire l’outil Google Street View : à une captation par balayage mécanisé, exhaustif et lisse (au sens où il ne discrétise rien), nous avons préféré une collecte artisanale, subjective et sélective.
L’autre refus qui définit la modalité de collecte est le refus de l’esthétisation des vues : le cadrage est frontal, les photographies ne sont pas retouchées (ni filtre, ni recadrage), dans un souci de fidélité à l’expérience ordinaire de déambulation et de rencontre aléatoire des inscriptions par un corps humain piéton simplement attentif aux signes de son environnement visuel.
C’est la même posture qui a prévalu pour la caractérisation des images collectées. Nous avions bien sûr quelques hypothèses de travail, qui ont orienté l’organisation des catégories en « lieu », « geste », « topique » (voir supra), mais ces catégories n’ont pas la prétention d’épuiser ce qui serait l’absolue objectivité de la collection : elles sont imparfaites, et incomplètes. Elles proposent simplement quelques parcours possibles et visent à faire éprouver, même par l’insatisfaction, une expérience de catégorisation, au sein d’une collection. Cette collection est d’ailleurs elle-même mouvante et ouverte à d’autres usages que ceux qui ont guidé notre propre catégorisation. On imagine par exemple que, lors de prochains séminaires, des étudiant·es pourront travailler sur cette collection en l’enrichissant de nouveaux modes de catégorisation, voire de nouveaux matériaux annexes (sons, vidéos, etc.).
La collection de Textures urbaines vise à rencontrer des objectifs scientifiques et politiques.
Sur le plan scientifique, elle offre des matériaux précieux pour qui s’intéresse aux sémiotiques de l’écriture, aux variations sociolinguistiques (en particulier aux usages non-normés du langage et à l’écrit ordinaire), à la rhétorique des discours sociaux (en particulier à leurs mises en circulation matérielle dans l’espace public), à l’esthétique de l’art urbain, voire à l’aménagement urbanistique. L’outil de recherche et les différents critères qu’il combine permettent de constituer des sous-corpus répondant à des questions ciblées ; l’outil de géolocalisation offre en outre une visualisation inédite du centre-ville de Liège et de la manière dont il se structure en fonction des inscriptions qu’il accueille. Toutes ces pistes de recherche appellent évidemment des perspectives comparatistes avec d’autres collections, liées à d’autres villes.
Sur le plan politique, Textures urbaines a l’objectif de documenter la large variété des formes graphiques et visuelles qui construisent une part de l’identité culturelle de Liège et de ses habitant·es. À ce titre, la collection offre un contre-point à quelques noyaux mythologiques du grand récit urbain dominant : le discours de projet, la promotion touristique, et plus largement les politiques de city-branding tendent à imposer une imagerie de la ville qui lisse la variété sémiotique qui l’habite. C’est à restituer la polyphonie des discours urbains qu’entend aussi contribuer Textures urbaines.
Le site Textures urbaines est réalisé dans le cadre d’un projet de recherche mené à l’Université de Liège par Alexandre Lansmans et François Provenzano, et financé par le F.R.S-FNRS (PDR « Rhétorique de la ville », 2020-2024). (https://ceserh.hypotheses.org/projets/rhetorique-de-la-ville )
Alexandre Lansmans est titulaire du Master en Langues et lettres françaises et romanes (2019), et doctorant associé au projet « Rhétorique de la ville ». Sa thèse s’intéresse particulièrement aux rapports entre la ville contemporaine et l’imaginaire de la « vie ». C’est lui qui a collecté les images rassemblées sur ce site, et en a suivi le traitement informatique, avec l’aide précieuse de Luc Desert (informaticien du CIPL – Centre d’Informatique de la faculté de Philosophie et Lettres de l’ULiège) et de Marine Hardy (étudiante du Séminaire de recherche en sémiotique de l’ULiège). Il est également l’auteur de la plupart des commentaires qui accompagnent les images sélectionnées dans la section « galerie ». Liste bibliographique (avec plusieurs textes en libre accès) : https://tinyurl.com/pwb6raj9
François Provenzano est professeur en sciences du langage et rhétorique à l’Université de Liège. Ses intérêts de recherche actuels concernent la critique rhétorique des discours, la sociosémiotique urbaine et l’étude des imaginaires linguistiques (avec le collectif Lttr 13). Il a encadré le travail de collecte des images et a conçu, avec Alexandre Lansmans, l’architecture générale du site. Liste bibliographique (avec plusieurs textes en libre accès) : https://tinyurl.com/mfnuz44t
Alexandre Lansmans et François Provenzano sont membres du Centre de Sémiotique & Rhétorique de l’Université de Liège (https://ceserh.hypotheses.org/), associé à l’Unité de recherches Traverses (https://www.traverses.uliege.be/cms/c_3948089/fr/traverses).
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Voici comment créditer l'oeuvre :
[Extrait de] Textures urbaines. Une cartographie des écritures de rue à Liège, [En ligne], plateforme numérique réalisée par Luc Desert, Alexandre Lansmans, François Provenzano, ULiège, UR Traverses, mise en ligne en juillet 2021, URL : https://texturb.uliege.be/geotag/